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Mécanismes et causes des marées vertes à ulves dérivantes

A quel type de dysfonctionnement écologique peut-on rattacher les marées vertes ?

Les marées vertes à ulves, comme tous les blooms macro-algaux, sont une manifestation en eaux littorales du phénomène d’eutrophisation.

Le phénomène d’eutrophisation peut être résumé comme une « surproduction » de végétaux aquatiques, en lien avec des apports excessifs de sels nutritifs et conduisant à un stockage de biomasse et de matière organique dans le milieu.

Deux conditions complémentaires aux apports de sels nutritifs sont toutefois nécessaires pour et doivent être réunies pour que se produise une eutrophisation : bonnes conditions de lumière et disponibilité d’une espèce opportuniste adaptée au milieu (une ulve dans le cas des marées vertes).

Ainsi, d’une manière générale, les marées vertes à ulves se produiront en Bretagne dans des secteurs sableux enclavés du linéaire côtier où tend à régner une conjonction d’apports excessifs en sels nutritifs (zones d’exutoires des rivières), de faibles profondeurs (favorables à la croissance des algues par les conditions de lumière et de température qui y règnent) et de conditions d’hydrodynamisme favorables à la rétention de ces sels nutritifs et/ou des algues produites (renouvellement lent de la masse d’eau côtière, courants de marée et houle accumulant les algues sous faibles profondeurs).

Se déroulant en milieu marin ouvert et bien agité, les marées vertes à ulves ne conduisent pas aux crises dystrophiques que l’on peut rencontrer avec des blooms macroalgaux de lagunes fermées (chute critique des teneurs en oxygène suivies de mortalités végétales et animales). Seuls les échouages stagnants et peu drainés de haut de plage pourront par leur pourrissement recréer à plus petite échelle ces conditions de dégradation.

Quel mode d’action pour les sels nutritifs ?

L’apparition, puis l’importance d’une marée verte dans un site dépend plus précisément de la persistance d’une disponibilité élevée de sels nutritifs en saison favorable à la croissance des algues.

Les algues vertes (à l’instar d’autres producteurs primaires marins) sont en effet normalement limitées dans leur croissance en été (dès le mois de mai), en raison de la diminution naturelle estivale importante de la disponibilité en sels nutritifs (épuisement par le phytoplancton du stock en mer de sels nutritifs, diminution de leurs apports par les rivières). L’eutrophisation d’un site est liée à un retard saisonnier et à un affaiblissement de cet effet limitant naturel. Ces deux facteurs qui sont en lien avec l’augmentation globale des apports continentaux en sels nutritifs permettent aux algues de poursuivre leur phase de croissance dans des conditions saisonnières de lumière et de température de plus en plus favorables, et d’accumuler de fortes biomasses estivales dans des sites sableux qui sont naturellement dépourvus d’algues.

Quels rôles respectifs pour l’azote et le phosphore :

Ces deux éléments sont nécessaires à la croissance des ulves.  Par la mesure des teneurs internes en azote et phosphore, on constate que le phosphore est pratiquement toujours en excès par rapport aux besoins de la croissance des algues, alors que l’azote limite encore la croissance estivale dans la plupart des sites.

A noter !

Au printemps, la disponibilité des sels nutritifs dans le milieu diminue rapidement alors que les besoins de la croissance des algues augmentent, d’où la baisse saisonnière des quotas internes en N et P des ulves.

En période estivale, seuls les quotas azotés descendent sous un seuil critique pour la croissance des algues

L’azote apparaît ainsi, pour la production algale, comme facteur ‘minimum’ ou ‘limitant’, ce qui signifie qu’en ajoutant encore de cet élément dans le milieu, on augmentera la prolifération et qu’en en enlevant, on la diminuera directement en proportion. Dans beaucoup de sites cependant, la disponibilité azote est devenue en excès par rapport aux besoins de la croissance des algues. Le phosphore, quant à lui, ne semble jouer un rôle franc de limitation de la croissance que de manière occasionnelle et/ou temporaire sur certains sites.

Sur un autre plan, les comportements en milieu côtier des deux nutriments azote et phosphore sont différents : l’azote, quand il arrive en mer, est instantanément dilué vers le large alors que le phosphore précipite et tend à se concentrer dans les sédiments côtiers. Ce phosphore, ainsi piégé en quantité, serait toutefois (contrairement à la situation en eau douce) au moins pour partie facilement relargable par le sédiment, ce qui expliquerait sa disponibilité particulière pour les ulves. En même temps, le stock important de phosphore accumulé dans le sédiment côtier place cet élément en situation défavorable comme facteur de maîtrise par rapport à l’azote qui est encore limitant pour la croissance et sans stockage dans le milieu côtier.

 Que peut-on faire pour limiter la croissance des algues vertes ?

La seule solution à terme est de réduire les apports de nutriments au littoral. Pour les raisons évoquées précédemment, l’azote est le levier opérationnel global à privilégier pour agir rapidement contre les marées vertes à ulves des côtes bretonnes. Cet élément, sous forme de nitrate, étant essentiellement d’origine agricole, c’est donc au niveau de cette activité que les efforts de maîtrise doivent être concentrés pour limiter le phénomène de marées vertes et, d’une manière plus générale, restaurer la qualité des masses d’eaux côtières par rapport au risque eutrophisation (blooms macroalgaux et phytoplanctoniques). Il est cependant à noter que de nombreux efforts ont été réalisés par le monde agricole ces dernières années.

Facteurs de sensibilité des sites aux marées vertes à ulves

La transparence des eaux :

A côté des sels nutritifs, la lumière est le deuxième facteur indispensable à une eutrophisation. Le développement particulier des marées vertes à ulves sur les côtes bretonnes est très probablement favorisé par la faible turbidité naturelle des eaux côtière (côte rocheuse, pas de grands fleuves.). Un éclairement suffisant pour une croissance significative des ulves semble possible dans certains sites jusqu’à 10-15 m de profondeur. A contrario, l’absence d’algues vertes en baie du Mont St Michel est expliquée par la forte turbidité qui y règne.

Les facteurs géomorphologiques et hydrodynamiques du littoral

L’importance, voire l’existence d’une marée verte dans un site dépend aussi de la capacité géomorphologique et hydrodynamique du secteur côtier :

  • à ralentir la dilution des sels nutritifs responsables de la croissance des algues :

En effet, malgré de fortes amplitudes de marées, le renouvellement des masses d’eau côtières où pénètrent les sels nutritifs se trouve plus ou moins limité dans les nombreux secteurs enclavés et peu profond du linéaire côtier breton.

  •  à stocker les algues produites sous faibles profondeurs et à favoriser leur échouage.

Ce stockage d’algues est à considérer en premier lieu pour la période estivale où il est maximal et source de nuisances. Le stock total se répartit entre estran (+ rideau flottant de bas de plage) et petits fonds non accessibles à l’observation directe. Les évaluations de biomasses totales de sites tendent à montrer que la fraction poussée vers et sur les plages est d’autant plus importante que l’amplitude de marée est forte sur le secteur côtier.

Le stockage d’algues est aussi à considérer en période hivernale : les stocks résiduels de l’année précédente permettent en effet, en sortie d’hiver, une anticipation du bloom (sous simple contrôle de l’amélioration des conditions de lumière) qui aura pour résultat l’entrée d’un maximum d’algues en période optimale pour la croissance (température + lumière + sels nutritifs), puis l’accumulation d’un maximum de biomasse avant la période de limitation de la nutrition azotée. Le suivi des marées vertes sur plusieurs années a permis de montrer que le pic printanier d’une marée verte (juin) dépendait très peu des flux d’azote mesurables avant et pendant cette période, mais pouvaient être corrélé aux stocks d’ulves présents sur les sites en fin de saison précédente, de même qu’aux conditions hivernales de dispersion et de croissance des algues, le tout permettant à celles-ci de déboucher sur les sites en sortie d’hiver avec des biomasses plus ou moins importantes selon les années.

Ce stock hivernal, variable d’un site à l’autre selon les conditions locales de dispersion hydrodynamique des algues, peut être considéré comme un facteur d’inertie dans la variation interannuelle des stocks estivaux d’algues d’un site par rapport aux variations de flux, de même qu’un facteur de résistance potentielle des sites aux mesures préventives.

Il est enfin nécessaire de prendre en compte les possibilités, pour une baie touchée, d’importer, par transports latéraux, des sels nutritifs et surtout (ce qui paraît, en fait, plus fréquent) des quantités d’algues venant de sites voisins. Ces transports permettent d’augmenter le stock maximal d’algues ou d’amener des stocks initiaux en début de saison devant des sites qui en sont dépourvus. Cette interdépendance possible entre sites voisins est un élément important à déterminer (par études hydrodynamiques) pour éventuellement regrouper territorialement des efforts de lutte initialement engagés de manière indépendante sur des bassins versants voisins, comme pour cibler des efforts de ramassage sur telle baie ou partie de baie qui serait à l’origine de la contamination d’autres secteurs.

Le rôle aggravant potentiel des facteurs naturels climatiques, géologiques et du type d’occupation des sols sur les bassins versants

La nature géologique du sous sol (qui contrôle précocité et importance des débits d’étiage) et le type d’occupation des sols du bassin versant (notamment les aménagements et pratiques culturales favorisant les trajets directs de l’eau et réduisant ainsi ses chances de dénitrification naturelle) peuvent jouer un rôle aggravant dans les modalités saisonnières de transfert de l’azote vers le site à marées vertes en période sensible. Ainsi, les bassins versants granitiques connaissent des débits d’étiage plus tardifs, avec des apports en sels nutritifs (flux) qui peuvent être suffisants à la croissance des ulves sur la période estivale. Les facteurs climatiques (température hivernale douce, forts excédents pluviométriques) qui règnent en Bretagne sont généralement plutôt favorables à la minéralisation puis au transfert d’azote vers les nappes, mais dans des conditions variables d’un bassin à l’autre.