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Faut-il avoir peur de l’iode des algues ?

 En juin 2018, l’ANSES publiait son avis relatif au risque d’excès d’apport en iode lié à la consommation d’algues dans les denrées alimentaires. Mais faut-il pour autant s’en alarmer ?

Nous revenons dans cet article sur le contexte de cet avis ainsi que sur les algues concernées. Nous vous présentons aussi les solutions techniques disponibles et utilisées par certains acteurs de la filière, ainsi que des recommandations de consommation.

L’iode dans les algues

La richesse des macroalgues en iode est un atout qui a été exploité pendant une centaine d’années en Bretagne fin du 19ème siècle et ce jusqu’aux années 1950. A l’époque les algues étaient brûlées pour former « des pains de soude » qui étaient ensuite envoyés aux usines d’extraction. De nos jours, la supplémentation en iode dans le sel de table est effectuée grâce à l’iode extrait des mines de nitrate ou de champs de gaz naturels.

« Incinération des varechs sur les côtes de Bretagne ». Les merveilles de l’industrie ou Description des principales industries modernes par Louis Figuier (1877). Paris, Librairie Furne, Jouvet & Compagnie

Raisonnablement l’iode est un bénéfice nutritionnel dans les algues, très important dans le monde en regard des risques liés à une déficience en iode. L’iode est indispensable pour l’organisme qui le concentre dans la thyroïde. La glande thyroïde élabore des hormones iodées actives sur toutes les oxydations cellulaires et intervient sur la thermogénèse. Les conséquences sur la carence en iode sont les suivantes : goitre, retards cognitifs et moteurs dans la population infantile (influence sur le développement du fœtus),  altérations de la reproduction.

Des teneurs parfois très fortes

Cependant cette exceptionnelle richesse des algues en iode, pouvant devenir problématique en cas d’excès, a toujours été une préoccupation des autorités de surveillance, ainsi que des acteurs de la filière. Ainsi, dès la fin des années 80, les autorités françaises fixent des teneurs maximales en iode à respecter (avis du CSHPF) ainsi que des doses de consommation réduites pour certaines algues (laminaires). Au fil du temps ces recommandations évoluent pour établir un seuil maximal en iode à 2000 mg/kg d’algue sèche (AFSSA, 2009).

Certaines algues brutes (laminaires et Gracilaria),  comme le souligne l’ANSES, dépassent régulièrement ce seuil. On peut retrouver les compositions moyennes des algues brutes sur le site Ciqual qui répertorie la composition des aliments en France ou dans notre rubrique Fiches nutritionnelles.

Les implications nutritionnelles sont immédiates : pour un adulte, l’apport journalier recommandé en iode (AJR) de 150 µg/jour  peut être couvert par des quantités très faibles, de l’ordre de quelques grammes d’algues séchées non préparées. Ainsi 7 g  de Palmaria palmata (sèche)  couvrent 67% des AJR tandis que 0.7 g  de Saccharina latissima (sèche)  couvrent plus de 2400 % AJR. Il est donc important de varier les espèces d’algues consommées et de réguler sa consommation pour ne pas entrainer de risque d’excès. L’iode dans la plupart des algues est majoritairement soluble dans l’eau et biodisponible. Notons qu’une  portion journalière de 7 g d’algues séchées (environ 50 à 70 g frais) est considérée comme une quantité moyenne et raisonnable d’algues prise comme référence dans des publications  (Mac Artain et al, 2007) ou plus dernièrement dans une analyse de risque belge sur la consommation des algues (Belgium Superior Health Council n° 9149, 2015).

Les solutions techniques

Les formulateurs de compléments alimentaires, s’attachent par leur formulation à ne pas dépasser les limite supérieures de sécurité en iode. Malheureusement des prises excessives, au-delà des doses préconisées peuvent entrainer des surcharges en iode. Ainsi un cas d’hyperthyroïdie a été rapporté aux Pays-Bas dans les années 1990, chez une patiente de 50 ans ayant pris des compléments à base de laminaires, à raison de 6 comprimés/jour de 200 mg d’iode chacun, dans l’espoir de perdre plus vite du poids. Une hyperthyroïdie s’est développée chez cette patiente en l’espace de 2 mois et s’est résorbée spontanément après l’arrêt de la prise de comprimés.

Afin d’appréhender cette très forte richesse et de permettre de tirer profit des bénéfices organoleptique et nutritionnels des algues sans  s’exposer à des risques d’apports excessifs d’iode, certains acteurs et en particulier le CEVA ont aussi démontré la possibilité d’utiliser des traitements classiques en agro-alimentaire. Dès 2013, le CEVA propose de blanchir les algues 45 secondes environ dans de l’eau de mer ou de l’eau douce pour lessiver 80% de l’iode (Marfaing et al, 2013). Le procédé de blanchiment est un procédé communément utilisé dans l’industrie des légumes pour fixer les couleurs, assainir et préparer les légumes à la surgélation ou la stérilisation.

Plus globalement en Europe, de nombreux acteurs étudient les teneurs en iode des algues en fonction des espèces, des localisations ou des saisons (Roleda & al, 2018) et évaluent les pré-traitements utilisables par les producteurs/transformateurs d’algues (Stévant et al, 2017 ; Stévant et al, 2018). Ainsi  une macération de l’algue dans l’eau tiède entraine une réduction de 50 à 80% de la teneur initiale en iode (Stévant et al, 2018).

Dernièrement, le CEVA a coordonné le projet collaboratif SENSALG en collaboration avec les producteurs et des industriels de l’agro-alimentaire du Grand Ouest. Ce programme a permis de réaliser des analyses sur une large gamme d’algues bretonnes fraiches et traitées selon différents procédés (blanchiment, stérilisation, surgélation, salage et séchage). Les principaux résultats de ce travail permettent de préciser les apports nutritionnels des algues telles que consommées  actuellement en France. Ainsi on s’aperçoit que les algues commercialisées sous forme fraiches (stabilisées dans du sel) ou appertisées ont perdu une grande partie de leur teneur en iode et n’induisent pas de risque d’excès dans le cadre d’une consommation raisonnable.

En conclusion

La consommation des algues comme légumes fait son apparition  dans la gastronomie française et il existe une demande croissante pour ces végétaux naturels et bons pour la santé, qui s’intègrent parfaitement dans le cadre d’une alimentation diversifiée. Cet engouement ne semble pas être un phénomène de mode mais plutôt  une réelle tendance alimentaire s’inscrivant dans la durée. Les algues deviennent maintenant un élément d’innovation pour les entreprises agro-alimentaires : multiplication des offres alimentaires sous différentes formes dans les magasins spécialisés (Biocoop, La Vie claire, Naturalia) mais également en GMS (plats cuisinés mais également algues fraiches salées, tartares d’algues et condiments, …). Tous les développements actuels prennent en compte les bénéfices et risques de ces nouveaux légumes et intègrent  les pré-traitements et formulations adaptés afin de garantir au consommateur des produits sains.

 

note relative aux populations spécifiques : l’Anses déconseille la consommation d’aliments ou compléments alimentaires contenant des algues aux personnes présentant un dysfonctionnement thyroïdien, une cardiopathie, une insuffisance rénale, ou suivant un traitement par un médicament contenant de l’iode ou du lithium, ainsi qu’aux femmes enceintes ou allaitantes, sans avis médical.

 

Références :

AFSSA (2009). Avis de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments relatif à la teneur maximale en arsenic inorganique recommandée pour les algues laminaires et aux modalités de consommation de ces algues compte tenu de leur teneur élevée en iode. https://www.anses.fr/fr/system/files/RCCP2007sa0007.pdf

ANSES (2018) Avis de l’Anses relatif au risque d’excès d’apport en iode lié à la consommation d’algues dans les denrées alimentaires. https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2017SA0086.pdf

Belgium Superior Health Council (2015) L’arsenic et autres éléments présents dans les algues et les compléments alimentaires à base d’algues​ (CSS 9149). https://www.health.belgium.be/fr/avis-9149-arsenic#anchor-20581

De Smet PA, Stricker BH, Wilderink F, Wiersinga WM (1990). [Hyperthyroidism during treatment with kelp tablets.] (article en néerlandais). Ned Tijdschr Geneeskd, 134(21):1058-1059.

MacArtain P., Gill C.I.R., Brooks M., Campbell R., Rowland I.R. (2007) Nutritional value of edible seaweeds. Nutr Rev.  65:535-543. https://doi.org/10.1301/nr.2007.dec.535-543

Marfaing H. (2017) Qualités nutritionnelles des algues, leur présent et futur sur la scène alimentaire. Cahiers de Nutrition et de Diététique, vol 52 – N° 5 :257-268.

Marfaing, H, Baty-Julien, C., Harnay, S., Le Page, J.F., Bonnier, V., Garin, M.L., Deschamps, C. (2017) Influence de traitements agroalimentaires sur les qualités texturales, sensorielles, nutritionnelles et culinaires d’algues alimentaires. Industries Alimentaires et Agricoles, septembre-Octobre 2017 : 9-11.

Marfaing H., Stevant, P (2016) Influence du procédé de stockage en eau de mer sur la composition de deux algues brunes alimentaires : kombu royal (Saccharina latissima) et wakame atlantique (Alaria esculenta). Industries Alimentaires et Agricoles, septembre-Octobre 2016 :11-13.

Marfaing H, Viller N, Richardeau M (2013) Impact des procédés de transformation des algues sur leurs qualités.  Industries Alimentaires et Agricoles, mars-avril 2013 :15-17.

Roleda M.Y. , Skjermo J., Marfaing H. Jónsdóttir, R., Rebours, C., Gietl, A., Stengel, D., Nitschke, U. (2018) Iodine content in bulk biomass of wild-harvested and cultivated edible seaweeds: Inherent variations determine species-specific daily allowable consumption, Food Chem 254 (2018), 333-339. https://doi.org/10.1016/j.foodchem.2018.02.024.

Stévant, P., Marfaing, H., Duinker, A., Fleurence, J.,  Rustad, T., Sandbakken, I., Chapman, A (2018)  Biomass soaking treatments to reduce potentially undesirable compounds in the edible seaweeds sugar kelp (Saccharina latissima) and winged kelp (Alaria esculenta) and health risk estimation for human consumption. J Appl Phycol 30:2047-2060. https://doi.org/10.1007/s10811-017-1343-8

Stévant , P., Marfaing, H., Rustad, T., Sandbakken, I., Fleurence, J., Chapman, A (2017) Nutritional value of the kelps Alaria esculenta and Saccharina latissima and effects of short-term storage on biomass quality. J Appl Phycol 29:2417-2426. https://doi.org/10.1007/s10811-017-1126-2