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Spiruline et vitamine B12

Note : cet article a été rédigé dans le cadre du projet CASDAR n° 5504 « Spiruline paysanne ».

La vitamine B12 est une vitamine essentielle pour l’homme. Elle est synthétisée exclusivement par les bactéries et est présente dans les aliments d’origine animale, liée à des protéines (ANSES, 2017).

Il existe depuis plusieurs années, un débat sur la richesse en vitamine B12 de la spiruline et l’activité chez l’homme des formes présentes. Récemment, l’ANSES dans sa saisine n°2014-SA-0096 relative aux « risques liés à la consommation de compléments alimentaires contenant de la spiruline » indique  spécifiquement  «l’Agence souligne que la spiruline ne constitue pas une source fiable de vitamine B12 pour les populations végétaliennes, celle-ci étant présente dans la spiruline majoritairement sous forme d’analogue inactif.».

Il est donc important pour les spiruliniers de connaitre plus précisément les données scientifiques concernant la vitamine B12 afin de communiquer et de pouvoir conseiller en toute confiance leurs consommateurs.

Fonction 

La vitamine B12 (cobalamine) est une vitamine hydrosoluble, vitale pour la croissance et la division des cellules (mitose). Elle joue un rôle important  dans la synthèse de méthionine à partir de l’homocystéine et la conversion du methylmalonyl coenzyme A en succinyl coenzyme A chez l’homme.

Ainsi elle est nécessaire à la maturation des globules rouges, à la fonction neuronale, à la synthèse de l’ADN.

Selon le règlement européen (règlement (CE) n°1924/2006 et directive 90/496/CEE)  relatif aux allégations nutritionnelles, la vitamine B12 contribue :

  • à un métabolisme énergétique normal
  • au fonctionnement normal du système nerveux
  • au métabolisme normal de l’homocystéine
  • à des fonctions psychologiques normales
  • à la formation normale de globules rouges
  • au fonctionnement normal du système immunitaire
  • à réduire la fatigue
  • à jouer un rôle dans le processus de division cellulaire.

Structure

 La vitamine B12 est une des vitamines ayant la structure la plus complexe possédant un cofacteur et des liaisons carbone/élément métal (Cobalt).

  • Le terme vitamine B12 est utilisé pour décrire de manière générique toute la famille des cobalamines qui regroupe une famille de dérivés assimilables et actifs chez l’homme mais aussi d’autres qui ne le sont pas.
  • Les cobalamines appartiennent à la famille des corrinoïdes : noyau de 4 cycles pyrroles avec au centre un atome de cobalt liés à 2 ligands :
  • Ligand inférieur
  • Ligand supérieur: R sur la figure 1.

Figure 1 : structure de la  cobalamine (Nielsen & al, 2012, Chamlagain & al, 2015)

 

Le ligand inférieur  conditionne l’activité de la vitamine chez l’homme.

  • Le ligand de structure  5,6 dimethylbenzimidazole ou DMBI lié au noyau cobalt est la seule forme active chez l’homme. Ce DMBI jour un rôle important dans l’absorption de la B12 chez l’homme permettant la liaison spécifique de la vitamine au facteur intrinsèque de la muqueuse intestinale (transporteur glycoprotéique de la vitamine B12) (Chamlagain & al, 2016).
  • Des corrinoïdes avec d’autres ligands sont retrouvés dans les matériaux biologiques. Ils sont biologiquement inactifs chez l’homme mais peuvent avoir une activité vitaminique chez les bactéries (Watanabe & al, 2013). Ainsi l’adénine comme ligand est constitué le 7-adenyl cyanocobamide, ou pseudovitamine, B12 qui est inactif chez l’homme. La pseudovitamine B12 est difficilement absorbée dans l’intestin des mammifères avec une très faible affinité pour le facteur intrinsèque de la muqueuse intestinale (Chamlagain & al, 2016).

Le ligand supérieur conditionne la stabilité la stabilité de la vitamine.

  • le groupe hydroxyle forme l’hydroxocobalamine
  • le groupe méthyle forme la méthylcobalamine
  • le résidu adénosyle, forme l’adénosylcobalamine.
  • le cyanure (CN) forme la cyanocobalamine qui est la forme la plus stable.

Les formes prédominantes dans la viande sont l’adénosylcobalamine et l’hydroxocobalamine alors que les produits laitiers contiennent principalement de la méthylcobalamine et de l’hydroxocobalamine.

Pour les usages pharmaceutiques et compléments alimentaires, la cobalamine stabilisée avec du cyanure est utilisée (cyanocobalamine).

La détermination de la vitamine B12 totale exige l’utilisation d’un mode de détection extrêmement sensible. Les nombreux composés analogues aux cobalamines qui ne sont pas métaboliquement actifs peuvent interférer dans les dosages. Le dosage de cette vitamine est donc complexe à mettre en oeuvre. Ainsi certains résultats de teneur en vitamine B12 obtenus par des méthodes anciennes de type microbiologiques surestiment largement le contenu en vitamine B12 active chez l’Homme (Herbert, 1988).

Sources

La vitamine B12 n’est pas synthétisée par l’Homme et doit donc être apportée par l’alimentation. Elle est essentiellement présente dans la viande, le foie et les crustacés. Généralement absente dans les plantes, les végétariens doivent trouver une source assimilable de vitamine B12 pour éviter les carences ou les situations de subcarences.

Certains produits végétaux ayant subi une fermentation bactérienne, tels que la bière, peuvent contenir de la cobalamine mais en quantité très faible.

Les teneurs en vitamine B12 sont très variables d’un aliment à l’autre : dans les aliments naturels, de 0,9 ng.g-1 pour le yaourt à 650 ng.g-1 pour le foie de porc, dans les aliments complémentés, de 5 ng.g-1 pour le lait vitaminé à 80 ng.g-1 pour certaines préparations infantiles. Les teneurs en vitamine B12 dans les aliments sont par ailleurs très nettement plus faibles que celles des autres vitamines du groupe B (Souci et al., 1994).

D’après l’étude INCA2, les principaux aliments contributeurs de vitamine B12 pour les français sont les abats (20.1%), la viande (15.9%), les poissons (14.4%), le fromage (7%) et la volaille et gibier (5%) (ANSES, 2017).

Carences

Plusieurs causes de carence en vitamine B12  sont rapportées : apport alimentaire insuffisant, anomalie ou déficience du facteur intrinsèque (anémie pernicieuse, chirurgie de parties spécifiques de l’estomac ou de l’intestin, infection chronique de l’intestin grêle (ou parasites empêchant l’assimilation).  A noter que la carence en vitamine B12 augmente avec l’âge, du fait principalement d’une mauvaise absorption alimentaire de la vitamine (Watanabe & al, 2007; 2014; Martin, 2001 ; Chamlagain & al, 2016).

Une hypovitaminose entraîne des anomalies de la division cellulaire, tout particulièrement au niveau des cellules du sang avec risques d’anémie du fait de la difficulté de synthèse de l’ADN. D’autres symptômes sont possibles : troubles psychologiques, inflammations de la peau et des muqueuses, fatigue, pâleur (Martin, 2001).

Références nutritionnelles

L’EFSA a statué sur un apport satisfaisant à 4 µg/jour pour les hommes et femmes de plus de 18 ans (ANSES, 2017 Saisine 2012-SA-0103). L’apport satisfaisant correspond à l’apport moyen d’une population ou d’un sous-groupe pour lequel le statut nutritionnel est jugé satisfaisant

La communication nutritionnelle sur les produits est dépendante depuis 2011 du règlement européen (UE) 1169/2011 relatif à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires dit règlement « INCO ». Ce règlement  fixe les règles d’étiquetage et de communication sur les aliments emballés dans l’Union européenne.

En particulier, les allégations nutritionnelles font référence à la teneur d’un nutriment, vitamine ou élément minéral  dans un aliment s’ils sont présents en quantité significative par rapport à des « apports de référence » appelés également « Valeurs nutritionnelles de référence » ou VNR. Pour la vitamine B12, la valeur nutritionnelle de référence est de 2,5 µg.

L’allégation nutritionnelle « source de » peut être employée lorsque l’aliment contient au moins 15% des valeurs nutritionnelles de référence (VNR) pour 100 g ou 100 ml. Ll’allégation « riche en  » est employée lorsque la teneur en vitamine B12 est d’au moins 30% des valeurs nutritionnelles de référence (VNR) pour 100 g ou 100 ml d’aliment ou par portion si l’emballage ne contient qu’une seule portion.

Et dans la spiruline ?

L’académie américaine de nutrition et de diététique ainsi que les associations végétariennes américaines ou canadiennes considèrent que la spiruline ne constitue pas une source fiable de vitamine B12 pour les populations végétarienne et végétalienne (Melina, Craig, et Levin 2016).

Cependant, les dernières études dans les pays en voie de développement montrent que la supplémentation en spiruline peut aider à établir et corriger des déficiences en fer ou une hémoglobinémie chez les femmes enceintes et les enfants malnutris (Niang et al, 2017 ; Visnegarwala and Mahesh, 2017 ; Abed et al, 2016). L’action du fer et de la vitamine B12 sont impliqués dans ces effets aussi il est légitime de se poser la question d’une activité pour l’homme de la vitamine B12 présente dans la spiruline.

Dans la base de données CEVA, d’après les données de la littérature,  on observe une teneur moyenne de vitamine B12 dans la spiruline de 236 µg/100g (mini : 13,7 µg/100 g à maxi = 659 µg/100g).

Cette moyenne ne provient que d’une dizaine de données (toutes méthodes d’analyse confondues).

Des auteurs démontrent que la teneur en vitamine B12 analysée par méthode microbiologique  est  6 à 9 fois plus élevée que par la méthode par chimioluminescence (Herbert & Drivas, 1982).

Watanabe & al (1999) ont démontré que la pseudo B12 (7-adenyl cyanocobamide),  le corrinoïde inactif chez l’homme, est la forme prédominante dans les comprimés commerciaux de spiruline qu’ils ont testé et seulement 17% de vraie vitamine B12 est extraite de ces comprimés.

Plus récemment, Kumudha et al, (2010) ont purifié et caractérisé de la méthylcobalamine chez  Spirulina platensis (35,7 µg vitamine B12 /100g sec équivalent à 71% de la VNR pour une portion de 5 g).

En conclusion, nous pouvons dire que :

  • La majorité des formes de vitamine B12 présentes dans la spiruline sont inactives
  • Mais des auteurs confirment la présence de vitamine B12.

Plusieurs explications peuvent être avancées pour la présence de ces formes actives de vitamine B12 :

  • Est-elle liée au consortium bactérien qui pousse avec la spiruline ?
  • ou la spiruline elle-même, qui est une cyanobactérie et donc un organisme procaryote, aurait-elle la capacité de synthétiser cette vitamine ?

Il est donc nécessaire de rester prudent sur la communication à ce jour et de ne pas recommander la spiruline comme source garantie de vitamine B12 aux personnes véganes.

Les teneurs en vitamine B12 peuvent être variables et si une allégation est portée sur l’emballage, il est indispensable de confirmer la valeur par une analyse la plus spécifique possible.

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Références :

ANSES, 2017. Saisine n° 2012-SA-0103. Actualisation des repères du PNNS : Révision des Références Nutritionnelles en vitamines et minéraux pour la population générale adulte.

Abed E, Ihab AN, Suliman E and Mahmoud A (2016) Impact of Spirulina on Nutritional Status, Haematological Profile and Anaemia Status in Malnourished Children in the Gaza Strip: Randomized Clinical Trial. In : Maternal and Pediatric Nutrition Journal, vol. 2, n° 110.

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Niang, Khadim; Ndiaye, Papa; Faye, Adama; Tine, Jean Augustin Diégane; Diongue, Fatou Bintou; Camara, Maty Diagne et al. (2017) Spirulina Supplementation in Pregnant Women in the Dakar Region (Senegal). In : Open Journal of Obstetrics and Gynecology, vol. 07, n° 01, p. 147–154. DOI: 10.4236/ojog.2017.71016.

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